Jouxtant le canal de Brienne, l'intersection des rues de Barcelone, Paul Séjourné et la partie terminale du Boulevard Lascrosse fait place à un jardin public arboré de forme triangulaire, espace vert avec terrain de pétanque, que les toulousains appellent "jardin de l'Herakles", du nom d'une célèbre statue de Bourdelle qui en orne le centre.
C'est l'occasion de se souvenir et de rendre hommage au bon Docteur Paul Voivenel (1880-1975), éminent humaniste, Médecin et Neuropsychiatre de grand talent (sa thèse, Littérature et Folie" de 1908 est célèbre), philosophe et écrivain auteur de plus de 50 ouvrages, chroniqueur littéraire de multiples journaux dont le "Mercure de France" et le "Figaro Littéraire", ami des plus grands intellectuels de son temps, et surtout un des père du rugby toulousain puisqu'il fusionna en 1907 le club d'étudiants qu'il animait (le SOET) avec les non étudiants du SAT et ceux de l'Ecole Vétérinaire pour créer le Stade Toulousain.
Joueur (pilier), puis éminent dirigeant du Stade Toulousain, il ne cessa jamais, malgré ses activités proteiformes, de se passionner pour ce sport et son club et oeuvra pour eux jusqu'à sa disparition en 1975. A plus de 90 ans, sous le pseudonyme "La Selouze", il rédigeait encore de passionnantes chroniques pleines de verdeur, d'insolence et d'esprit au journal "Midi Olympique", bible du rugby hexagonal, dont il fut l'un des premiers reporters bénévoles, et dont le talent et l'esprit firent beaucoup pour le renom de cet hebdomadaire. Il est également le créateur de la "Ligue des Pyrénées" de rugby, qu'il présida durant plusieurs décennies.
Mais le grand choc de sa vie reste la Guerre de 14-18, qu'il tint, malgré son grade d'Officier attaché à son titre de Médecin, à disputer en première ligne, toujours proche de ses compagnons du Stade Toulousain, mobilisés au sein du 259e Régiment d'Artillerie ; outre des découvertes et avancées importantes dans le domaine de la neuropsychiatrie qu'il en retira (concepts de "peur morbide acquise par hémorragie de la sensibilité" qui lui valurent la reconnaissance de la communauté scientifique), il nous laisse un remarquable témoignage de ses souvenirs de guerre, publié en 1939 sous le titre "Avec la 67e Compagnie de Réserve", qui fut honoré du Grand Prix de l'Académie Française.
L'un des épisodes les plus douloureux fut la mort de son ami Alfred Mayssonnié, dit "Maysso", demi de mêlée, premier international toulousain, qui participa au premier match du tournoi des 5 nations auquel fut invité le XV de France, contre l'Ecosse, en 1910, et remporta le premier titre de champion de France du Stade en 1912 (voir article du 31.03.2020 célébrant le souvenir de ce match à l'occasion de son 108 anniversaire). Lors de la bataille de la Marne, en septembre 1914, à Osches dans la Meuse, il est fauché, à trente ans, d'une balle en plein coeur ; son compagnon d'infortune, Pierre Mounicq, capitaine du Stade, l'enterra comme il put sous les balles. Deux jours plus tard, Paul Voivenel, André Moulines et trois autres hommes achèveront sa tombe de fortune, tournant la croix fabriquée à la hâte vers Toulouse, et y clouant les couleurs rouge et noir.
Capitaine disparu
La génération sacrifiée
Homme de devoir et de fidélité, Paul VOIVENEL honorera sa vie durant ses amis disparus ; il obtiendra de son ami BOURDELLE, grand sculpteur montalbanais, qu'il fasse don à la Ligue des Pyrénées de l'un des tirages en bronze de son oeuvre majeure, " HERAKLES ARCHER EXTERMINANT LES OISEAUX DU LAC STYMPHALE ", qui sera installé allée de Barcelone, en bordure du canal de Brienne, et inaugurée le 25 avril 1925 en hommage à Alfred MAYSSONNIE et aux sportifs décédés pendant la Grande Guerre. C'est pourquoi depuis cette date, le monde du rugby se recueille chaque 11 Novembre à l'Herakles et non pas au Monument aux morts, au grand ressentiment des représentants de l'Etat.
Hommage aux camarades disparus
La terrible liste des 83 membres du Stade Toulousain tués lors la Guerre 1914-1918 ; Inauguration le 25 avril 1925 du Moniment aux Morts de l'Herakles, en présence du Dr Paul Voivenel, Président de la Ligue Midi-Pyrénées. C'est Marcel LUBIN-LEBRERE, joueur emblématique du Stade, 14 fois international, revenu borgne de la guerre, qui répond présent pour ses camarades morts au combat.; l'entrée, au débouché des Ponts-Jumeaux, du premier stade Ernest Wallon, maintenant détruit et remplacé par le périphérique toulousain et deux bretelles d'accès : on aperçoit le monument aux morts que le Club fit édifier à la mémoire de ses morts. Ce monument a été déplacé et occupe une place d'honneur sur l'emplacement du nouveau stade aux Sept-Deniers ; et comment ne pas avoir un souvenir ému pour l'ancien stade historique des Ponts-Jumeaux, propriété du Stade Toulousain, où il joua tous ses matchs à domicile depuis 1907 et qui fut démoli en 1982 pour laisser place à la Rocade. Le club avait négocié en échange la propriété du vaste site municipal des "Sept Deniers", devenu le coeur du club, à un kilomètre de son ancienne "maison", tellement accessible par la nouvelle rocade et doté de nombreux et vastes parkings.Chaque largeur du monument de l'Herakles est complété d'une stèle, portant à hauteur d'homme le profil en bronze du personnage auquel elles rendent hommage. La première, orientée sud, est dédiée à MAYSSONNIE et porte gravée dans la pierre la mention toute simple :
A MAYSSONNIE, SES CAMARADES
Notons que la Mairie de Toulouse a donné son nom à une rue, les allées Alfred Mayssonnie, situées sur l'Ile du Ramier, au milieu de Garonne, à proximité du stadium et de la piscine municipale où s'entraînent tant de champions
La seconde, orientée nord, rend hommage au Dr VOIVENEL, par ces mots, composés en lettres métalliques fixées sur la stèle, dont quelques-unes ont disparu : .
"AU DOCTEUR PAUL VOIVENEL, INSPIRATEUR DE CE MONUMENT"
Le monument aux morts du stade Ernest Wallon
Le pays, bien que victorieux, avait perdu lors du conflit 1914-1918 plus d'un million cinq cent mille jeunes hommes sur les champs de bataille, saignée terrible pour une nation qui ne comptait alors que quarante millions d'habitants. Les sequelles se traduiront deux décennies plus tard par un bilan démographique malthusien terrible (en 1939, au déclenchement du conflit, la France ne compte toujours que 40 millions d'habitants alors que l'Allemagne en a 89 millions !) et l'adoption sur le plan militaire d'une tactique - contraire à la tradition de mouvements rapides et d'offensives à outrance napoléonienne, accusée d'avoir causé tellement de pertes -, de repli sur soi derrière un mur, la fameuse ligne Maginot, réputée infranchissable. On sait combien coûta au pays le contournement de cette ligne de défense par l'armée allemande avançant sans difficulté à travers la forêt des Ardennes et prenant à revers toute l'armée française, réduite à la déroute, la débandade, l'humiliation sans honneur et l'invasion du pays.
Dès l'armistice du XI Novembre 1918, tous les villages de France érigèrent des monuments aux morts en mémoire des disparus, dont la stèle et la flamme au soldat inconnu sous l'Arc-de-Triomphe reste le symbole incontournable.
Le STADE TOULOUSAIN, de création récente, avait perdu dès 1914 sur les champs de bataille de la Marne son Capitaine et premier international du club, qui avait porté le club à son premier titre de champion de France dès 1912 ; ce sont 83 membres du club qui perdirent la vie lors de ce conflit. Si le Monument de l'Herakles, porté par des responsables du Club, se veut célébration du sacrifice des plusieurs milliers de jeunes sportifs de Midi-Pyrénées qui perdirent la vie, le STADE TOULOUSAIN érigea dans son antre mythique de l'ancien Ernest Wallon, aux Ponts-Jumeaux, en bordure du canal latéral, un monument de pierre sobre mais de dimension importante portant témoignage du sacrifice des héros.
Dans l'axe de l'entrée du Stade, il occupait une place centrale puisque tous les spectateurs gagnant les tribunes du terrain de jeu passaient devant le monument pour gagner les tribunes. Mais le club, en raison de l'explosion démographique de la ville lors des "trente glorieuses" fut exproprié en 1980 de son stade pour laisser place à une rocade autoroutière ; en compensation du dommage subi, le club négocia l'obtention à un kilomètre, dans le quartier des "Sept Deniers", d'une vaste aire de 10 hectares, idéalement placée sur le plan de l'accessibilité, pour y construire sa nouvelle demeure et les vastes dépendances qui lui étaient désormais permises par les dimensions généreuses de sa nouvelle propriété. Débutés en 1978, ces travaux furent achevés en 1982, et le nouveau stade fut inauguré officiellement lors d'une rencontre internationale au mois de novembre 1983. Le Monument aux Morts avait fait l'objet d'un soin attentif ; il avait été démonté des Ponts-Jumeaux pour être installé sous les gradins sud du nouveau Wallon aux Sept Deniers ; mais la ferveur populaire entourant le Stade Toulousain rendait indispensable des travaux pour rendre l'accueil des supporters du club plus en rapport, tant par sa jauge que son confort, avec le statut de sport professionnel populaire qui était désormais le sien. A cette fin, au tournant du siècle, de très importants travaux furent réalisés afin de porter la contenance du stade à vingt-mille personnes, qui exigèrent la disparition des anciennes tribunes sud et du monument aux morts pour reconstruction aux nouvelles normes.Le club décida d'innover pour l'adapter au XXIe siècle en se tournant vers un choix moderniste, tout en conservant les dimensions de l'ancien mur de pierre ; inauguré au mois de décembre 2004, il est érigé derrière la Tribune Sud, aux côtés du Pavillon du Stade Toulousain : les noms des 79 stadistes morts aux combat lors du conflit 14-18 sont désormais gravés par sablage, avec ceux des six décédés lors du conflit 39-45 et celui tombé lors de la guerre d'algérie sur six panneaux en verre noir trempé, œuvre de l'atelier toulousain Bataillou. De chaque côté l'artiste Rémy Peyranne a peint, en acrylique noire sur toile de lin, des panneaux évoquant les guerres. Ceux de gauche représentent celle de 1914-1918, ceux de droite celles de 1939-1945 et d'Algérie.
Témoignage du poète
Pour conclure l'hommage à cette génération de sportifs disparus dans cette tragédie, méditons les paroles de Jean Jaurès, Philosophe, Homme politique, Conseiller Municipal de Toulouse et enseignant à la Faculté des Lettres, assassiné la veille de la déclaration de guerre le 31 Juillet 1914 : "L'Humanité est maudite, si, pour faire preuve de courage, elle est condamnée à tuer éternellement".
Aragon, l'un des plus grands poètes du XXe siècle, mobilisé en tant qu'aide-médecin, connut les mêmes drames que Paul Voivenel et en éprouva la même nausée, dont il témoigna dans son roman autobiographique en vers, paru en 1956 sous le titre : "Le Roman inachevé", notamment dans le chapitre "La guerre et ce qui s'ensuivit", avec son génie de la langue française, la puissance de son verbe et la mélodie des ses mots, simples, directs, et terribles à la fois, que Léo Ferré mit en musique et interpréta de magistrale façon