C'est un rêve insensé, une quête, une épopée ! C'est notre Odyssée pendant les longs et durs combats d'hiver de la phase qualificative, puis notre Illiade lors des flamboyantes et passionnées joutes des phases finales, toutes de sang et d'or, sous le soleil printanier ! Depuis plus d'un siècle, toute équipe de rugby rêve d'en être dépositaire pour une année ; ne l'avoir jamais brandi est synonyme de regret et d'amertume tenaces, c'est une tache sur le palmarès des clubs, une cicatrice sensible pour certains parmi les plus grands joueurs de l'histoire du rugby hexagonal qui ne l'ont jamais brandi . A contrario, d'autres s'en gavent avec gourmandise et délectation, sans jamais s'en rassassier, car symbôle d'une grandeur humaine passagère, mais surtout pérennisation historique, au- travers les âges et les générations, de la grandeur collective des valeurs et de la formation d'un club, qui transcende les destins individuels en une aventure collective historique qui surpasse ses acteurs !
Cet "obscur objet de désir", ce mythe fou, ce "Graal" des temps modernes dont l'histoire a été maintes fois écrite par des journalistes de talent, n'a pourtant en tant qu'objet d'art qu'une valeur toute relative, contrairement à la charge symbolique pleine d'émotion qu'il revêt pour tout joueur de rugby.
Ce trophée prestigieux, c'est bien entendu le "Bouclier de Brennus", le "bout de bois", le "Glorieux", le "Fabuleux" ou encore plus expressivement, dans le langage qui lui est le plus intime, "lo Planchot" occitan.
Ce nom familier semble empreint de plus de deux millénaires d'histoire, renvoyant dans l'imaginaire aux gaulois, et plus précisément à la tribu des "Sénons" qui, vers 380 -JC, envahit l'Etrurie et Rome qu'elle pilla et incendia, avant de se retirer en échange du versement d'une forte rançon ; comme les gaulois avaient pour usage de soulever le chef qu'ils venaient de proclamer sur un bouclier, le rapprochement est d'autant plus irrésistible que le chef de cette tribu avait pour nom Brennus !
Or, rien de tel dans la réalité ; non, le "Bouclier de Brennus" n'est pas le prestigieux trophée historique légué à ses descendants par un chef gaulois ayant vécu voici 2400 ans dans la région de l'Yonne et du sud de la Seine-et-Marne, mais porte prosaïquement le nom du graveur-ciseleur qui l'a crée, d'après un croquis réalisé par le Baron Pierre-de-Coubertin. Mais s'il n'a pas le prestige d'une antiquité vieille de 2400 ans, son concepteur, Pierre de Coubertin, comme son créateur, Charles BRENNUS sont des personnalités prestigieuses du sport mondial pour le premier, du rugby hexagonal pour le second, qui en fut un des pionniers et des dirigeants historiques les plus actifs et appréciés.
Né beauceron à Chateaudun en 1859, il apprit très jeune son métier de maître-graveur et installa son atelier 17, rue Chapon à PARIS, se spécialisant dans la conception et la réalisation des trophées sportifs ; ce n'est qu'à plus de trente ans qu'il rencontre ce qui deviendra la passion dévorante de sa vie, le sport. D'abord par la pratique du cyclisme, en adhérant en 1893 à "l'Alliance Vélocvpédique du XIXe". La même année, poussé par ses amis, il fonde et devient le Président de l'éphémère CLUB DES ENTRAINES qui, comme il l'expliquera plus tard avec humour, se dilue en quelques mois dans les nuées !.
Mais il ne renonce pas, et dès 1895, il fonde le SPORTING CLUB AMATEUR, dont il devient Président, qui prendra en 1902 le nom de SPORTING CLUB UNIVERSITAIRE DE FRANCE, club omnisport où il put pratiquer le cyclisme, le cross-country et le rugby.. Durant deux saisons, il est même Capitaine de l'équipe de rugby mais ne laissera pas une grande marque en tant que joueur. Car c'est en tant qu'organisateur et dirigeant que ses qualités s'expriment le mieux ; cette époque où le sport balbutiant essaie de se donner de solides structures nationales et internationales va lui permettre d'exprimer toutes ses qualités.
Il n'existe pas, hors pour la gymnastique, de Fédération nationale propre à chaque discipline ; ce sont des Fédérations Omnisports qui se mettent en place, et le SCUF appartient à la plus importante, l'UNION des SOCIETES FRANCAISES des SPORTS ATHLETIQUES, fondée le 20.XI.1887, qui regroupe en son sein le RUGBY à XV, le HOCKEY sur GAZON, l'ESCRIME, la NATATION et un peu plus tard, en 1894, le FOOTBALL. C'est de loin la plus connue et la plus importante. Pierre de Coubertin en fut le Président et le Secrétaire Général à de nombreuses reprises, et c'est à la Tribune de cette Fédération, lors du discours pour fêter les cinq ans de l'USFSA qu'il fit part de son voeu de rétablir les Jeux Olympiques de la Grèce antique sous une forme rénovée..
BRENNUS fera évidemment partie de l'aventure, lui qui siégeait dès 1896 dans toutes les commissions sportives de l'USFSA (au sein de cette fédération omnisport, chaque discipline était dirigée par une commission), tout en restant à la tête du SCUF. Il préside dès 1898 la commission "athlétisme", et en 1900 devient Président de la commission rugby à XV, sans interruption jusqu'en 1919 lorsqu'il se retire, après avoir assuré la survie de l'USFSA pendant les années de guerre, mérites pour lesquels il sera décoré de la Légion d'Honneur. Lors des Jeux Olympiques de Paris en 1900, il est Juge arbitre des épreuves d'athlétisme.
Mais il n'avait pas pour antant déserté les terrains de rugby, puisque l'heure de la retraite sportive venue, il devient arbitre de haut-niveau et dirigea les plus grandes rencontres dans un championnat de France réduit à quelques unités dont les plus connus ont nom Stade Français, Racing Club de France, Stade Bordelais, Olympique de Paris, et Sport Olympique des Etudiants Toulousains (devenu Stade Toulousain en 1907). Il y acquit une notoriété certaine, mais aussi inévitablement l'impopularité liée à l'arbitrage, qu'il affronta toujours avec le calme et la tranquillité sereine d'un homme qui a accompli son devoir
Sous sa direction le rugby connut ses premiers succès internationaux ; en tant que Président de la Commission Rugby, il gère à la fois l'organisation des matches internationaux mais aussi l'équipe de France. Sous sa coupe vont se disputer les premières rencontres franco-britanniques, avant que la France n'intègre en 1910 le Tournoi des V Nations. Les équipes de France de l'USFSA opéraient alors, quelle que soit le discipline, en maillot blanc, avec sur la poitrine, deux anneaux entrelacés, rouge et bleu, qui inspireront plus tard les anneaux olympiques, et seront complétés à partir des années 1913-1914 par le coq gaulois qui viendra enrichir le blason de l'USFSA.
Durant vingt années, BRENNUS fut donc l'initiateur et le grand stratège de l'essor du rugby international français, avant d'en assurer la survie durant la première guerrre mondiale. Au sortir de ce conflit, lorsque la commission "rugby" de l'USFSA devint la FEDERATION FRANCAISE de RUGBY AMATEUR, il en fut Président d'Honneur et Trésorier. Il resta d'une grande activité malgré son âge, et un conseiller respecté et avisé. Il ne se retira qu'au début de la seconde guerre mondiale, et mourut chez sa fille au MANS le 23.12.1943, à l'âge de 86 ans.
Mais grâce au bouclier, son nom et son souvenir restent très prégnants..
Son histoire remonte à la première finale du Championnat de France en 1892 (un seul match au total entre le STADE FRANCAIS et le RACING CLUB de FRANCE, championnat national auxquels ne participèrent jusqu'en 1898 que les clubs parisiens), organisée par l'USFSA et son Président, Pierre de Coubertin, qui arbitra la rencontre et assuma la charge financière du trophée remis à cette occasion, dont il avait dessiné l'esquisse et confié la réalisation au Maître-Graveur Ciseleur, Charles BRENNUS !
La première finale du 20-03-1892
A l'occasion des 120 ans de la première finale du championnat de France, la LIGUE NATIONALE de RUGBY a mis en ligne le très interessant fac-similé du compte-rendu de ce match, tel qu'il parut le 26-03-1892 dans la Revue de l'USFSPA, titrée LES SPORTS ATHLETIQUES. Le contenu de l'article est reproduit ici : ou peut-être découvert directement sur le site de la "Bibliothèque Nationale de France", "GALLICA", où la revue originelle est présentée in extenso : .
Il s'agit du superbe bouclier damasquiné, à l'origine posé sur un cadre recouvert de peluche rouge, portant en son centre, reposant sur un rameau d'olivier, l'emblème de l'USFSA, deux anneaux entrelacés, traversés par un ruban portant la devise gravée : LUDUS PRO PATRIA (des jeux pour la Patrie !), que l'on doit à Jules MARCADET, alors Président du Stade Français. Ce bouclier eut tellement à souffrir des troisième mi-temps de victoire, que son socle en bois dut être complètement renové en 1990 et que c'est maintenant sa réplique qui est remise au Champion de France. L'original se trouve au musée de la Fédération Française de Rugby.
On reconnaît dans la symbolique du médaillon du bouclier des archétypes chers à Coubertin qu'il utilisera pour sa grand oeuvre de rénovation des jeux olympiques : jusqu'aux Jeux de Londres en 1908, le rameau d'olivier, symbole de paix et de force, était le seul trophée remis aux vainqueurs, avant d'être remplacé par les médailles. Quand aux anneaux entrelacés, symbole de paix et de bonne volonté, au nombre de cinq pour figurer les cinq continents, ils en deviendront le symbole et le drapeau .
En mémoire de Charles BRENNUS, ce sont deux jeunes joueurs sociétaires du club qu'il a fondé et animé, le SCUF, qui viennent rituellement chaque année, revêtus du maillot du SCUF, présenter le trophée aux spectateurs, avant remise à la garde du vainqueur de la finale ; au grand dam du malheureux BRENNUS, son club, pourtant finaliste en 1911 et 1913 ne l'a jamais gagné..
Enfin, n'oublions pas que le Club de sa ville natale, l'OLYMPIC CLUB CHATEAUDUN RUGBY a fait graver et installer sur un mur des tribunes du Stade Beauvoir - 4, Mail de Beauvoir à 28200 CHATEAUDUN - une plaque commémorative rappelant l'oeuvre de l'enfant de la ville, inaugurée en grande pompe le 6 Juin 1998.
BRENNUS est décédé chez sa fille, en pleine guerre, en 1943 ; sa famille n'ayant loué de concession funéraire que pour trente ans, il s'avéra lorsque la mairie chercha à contacter la famille, en 1974, pour le renouvellement, que tous avaient disparu et les restes de BRENNUS devaient rejoindre l'ossuaire municipal pour laisser placer nette à un nouveau concessionnaire.
Et tous les ans depuis que la FFR en assume la responsabilité, au-cours d'une cérémonie officielle, un graveur vient ajouter le nom du nouveau vainqueur du TOP 14.
Ce monument se trouve au cimetière de FRANCONVILLE (95130), dans le Val d'Oise.
Une occasion d'aller se recueillir sur la tombe du pionnier du rugby à XV français si les pérégrinations de votre vie vous amènent à passer dans le coin !
La tombe où reposent les restes de BRENNUS au cimetière de FRANCONVILLE
Sculpture en résine sur la pierre tombale, reproduisant le "Bouclier de Brennus"
La tombe de William Web ELLIS à MENTON 06
Dans l'évocation des grands pionniers de ce sport au XIXe siècle, nul n'ignore que l'invention du rugby à XV est attribuée à un étudiant anglais du collège de "Rugby", William Web Ellis (1806-1872), qui dans un geste fou lors d'une partie de "football folk" (une sorte de "soule") en 1823 se saisit avec les mains du ballon de cuir et inventa ainsi ce qui allait devenir le jeu de "rugby à XV".
Comme beaucoup de représentants de la noblesse anglaise, il s'était retiré pour sa retraite sur la Côte d'Azur dont le climat était beaucoup plus propice aux soins dispensés aux tuberculeux, maladie alors fatale, dont il était atteint et qui allait l'emporter à l'âge de 65 ans.
Il est enterré au magnifique cimetière marin de MENTON, qui domine la baie ; à l'entrée du "cimetière du Château", figure une statue de WEBB ELLIS, offerte par la Fédération anglaise, et le rappel de ses état de service.
Cette tombe est désormais un lieu de pélerinage, et aucune équipe nationale ou prestigieuse de club de passage sur la Côte d'Azur, ne peut faire l'économie de venir s'y recueillir et de déposer un souvenir.
Donc, si vous avez l'occasion ...